Résumé
Premier long métrage dirigé par une cinéaste femme à Cuba, De cierta manera narre l’histoire d’amour entre une institutrice et un ouvrier sur l’arrière-plan du « Quinquennat Gris » (1971-1976), période de déviation autoritaire de la politique culturelle de la Révolution. Achevé après la mort prématurée de Sara Gómez par Tomás Gutiérrez Alea et Julio García Espinosa, De cierta manera fait éclater les contradictions du processus révolutionnaire sur fond de modernisation urbaniste et de désintégration du tissu communautaire.
L'avis de Tënk
Rassemblant des acteurs professionnels et la communauté vivante des habitants du quartier populaire de Miraflores de La Havane, De cierta manera offre une approche complexe du processus révolutionnaire, opérant notamment sur la tension entre politique et rituel. La cinéaste afro-cubaine y scrute les processus collectifs à travers une esthétique sensible : la politique s’incarne dans les corps et les gestes, irradie de la passion et la danse.
De cierta manera rend sensible la persistance de structures coloniales fondées sur des divisions de classe, race et genre à l’intérieur de la Révolution cubaine. La forme donne sa puissance au fond de ce film « imparfait », puisque le processus de décolonisation inachevé s’y joue aussi sur le champ esthétique.
Détour de l'esthétique de l’ICAIC (Instituto Cubano del Arte e Industria Cinematográficos), De cierta manera adopte l’indétermination de genre – le jeu dialectique entre fiction et documentaire, remploi d’archives et ethnographie – comme principe opératoire. La multiplication et l’emboîtement de systèmes représentatifs mettent en question l’adéquation de la représentation au réel, interrogeant ainsi les constructions idéologiques et la rhétorique de la Révolution, ainsi que les dynamiques que celle-ci crée dans le terrain esthétique et la tension entre expérimentation et information propre aux cinémas révolutionnaires.
Raquel Schefer
Maîtresse de conférence au département Cinéma et audiovisuel, Université Sorbonne nouvelle