Résumé
Pour leur première collaboration, Cecilia Bengolea et Jeremy Deller ont parcouru ensemble l’agglomération de Lyon, ses quartiers périphériques. Quand iels rencontrent Denis Trouxe, ancien adjoint au maire, chargé de la culture et du patrimoine à la ville de Lyon, Cecilia Bengolea écrit avec lui un rap aux paroles à la fois ironiques et volontairement caricaturales. Il l’interprète dans sa villa cossue de Champagne-au-Mont-d’Or, accompagné par Domy Caramel, Latys Shye et Sarah, trois danseuses originaires de Vaulx-en-Velin. Cela donne un vidéoclip étrange, à la fois troublant et attachant, qui relie, pour quelques instants, deux parties d’une même zone urbaine qui ont peu l’occasion de se rencontrer.
L'avis de Tënk
C'est un homme à la retraite qui regarde le Tour de France affalé dans son canapé, fait quelques brasses dans sa piscine ou entretient son jardin. Enfin, ce n'est pas que cela. Comme Trouxe l'énonce lui-même, il est « l'homme blanc de Champagne-au-Mont-d'Or. » Les écarts étant ici genrés, géographiques, racisés, c'est donc lui qui parle, valide et légitime les artistes (Domy Caramel, Latys Shye et Sarah). Mais c'est qu'après tout, ces trois jeunes femmes racisées n'existent aux yeux des institutions culturelles et artistiques que par le regard et les commentaires que des spécialistes jetteront sur leurs corps, leurs danses… Rythmasspoetry condense avec une ironie magistrale toutes les ambiguïtés et problématiques soulevées par ce que les institutions culturelles font à l'art, aux artistes ; en les redoublant ici des questions de sexisme et de racisme. En affrontant l'exotisation et la fétichisation des corps, les stéréotypes associés aux femmes noires comme aux pratiques de danse urbaines, le film raconte avec humour et intelligence la récupération et l'instrumentalisation, et l'inscription de ces relations dans des schémas coloniaux.
Caroline Châtelet
journaliste, critique dramatique
