Résumé
Ce film dresse le portrait d’une aire d’autoroute perdue au milieu de la campagne picarde, un lieu comme dans un rêve : bruissant des pensées et des vies de ceux qui passent ou qui travaillent ici mais aussi un lieu bien réel : véritable poste d’observation de l’Europe d’aujourd’hui où apparaît crûment la violence de la concurrence d’un marché unique, la nostalgie du déracinement et les solitudes contemporaines.
L'avis de Tënk
Des tableaux d’Edward Hopper, certaines chansons d’Alain Souchon (telle "Ultra Moderne Solitude") les analyses de Karl Marx sur la circulation des marchandises et des capitaux, c’est à ces références très diverses que l’on peut songer en regardant "Des jours et des nuits sur l’aire" d’Isabelle Ingold – et c’est ce qui en fait sa force, sa beauté et sa cohérence. Les prolétaires des routes et des aires d’autoroute sont seuls et solidaires, isolés et ensemble. La déréliction n’empêche pas la conscience de classe ou, en tout cas, la perception ou la science de son malheur, ne serait-ce qu’en étudiant son bulletin de paie. S’appuyant sur un rare sens visuel et une conception rigoureuse du cadre, "Des jours et des nuits sur l’aire", documentaire sensible, est aussi un film éminemment politique qui montre, sans démontrer, tout ce qui unit encore, malgré tout, les femmes et les hommes soumis à la circulation des marchandises, à la rationalisation du temps et au sacrifice des paysages.
Tangui Perron
Historien, chargé du patrimoine audiovisuel à Périphérie