Résumé
Entre 1882 et 1924, près de 16 millions d’émigrants en provenance d’Europe, chassés par la misère, la famine, l’oppression politique, religieuse ou raciale sont passés par le centre d’accueil d’Ellis Island, îlot de quelques hectares dans le port de New-York. Le réalisateur Robert Bober et l’écrivain Georges Perec ont voulu rendre compte de ce qu’il reste aujourd’hui de ce lieu. Ellis Island représentait pour Perec, “le lieu même de l’exil, le lieu de l’absence de lieu, le non-lieu, le nulle part.” Le documentaire est composé de deux parties intitulées : “Traces” et “Mémoires”. “Mémoires” est un témoignage filmé à New York, sur les émigrants juifs, italiens et d’Europe centrale entrés aux États-Unis par Ellis Island. Les témoignages de juifs russes, polonais et d’italiens, nous invitent à comprendre les raisons de leur émigration aux États-Unis de 1905 à 1920, et à écouter le récit de leur intégration dans leur nouvelle patrie. Le documentaire est illustré par des documents filmés sur l’arrivée des immigrants en bateau et par de nombreuses photos.
L'avis de Tënk
Assis à son bureau, Georges Perec regarde un album de photographies prises au cours du tournage du film que nous sommes en train de regarder. Cette mise en abyme, emblématique d’une double temporalité récurrente dans l’œuvre de Perec, définit bien le geste réflexif à l’origine de ce projet, les questions qu’ont engendré sa mise en œuvre et les qualités d’observation et d’écoute qu’il a sollicitées de la part de Robert Bober et de Perec.
La première partie formule clairement ce questionnement essentiel aux accents markériens (par anticipation) : “comment reconnaître ce lieu ? / restituer ce qu’il fut ? / comment lire ces traces ? / (…) Comment saisir ce qui n’est pas montré, ce qui n’a pas été photographié, archivé, restauré, mis en scène ? / Comment retrouver ce qui était plat, banal, quotidien, ce qui était ordinaire, ce qui se passait tous les jours ?”.
À ces questions que l’écrivain se pose en 1979, et qu’il formule lui-même en voix-off, Georges Perec ajoute la simple et rigoureuse description des lieux, et l’énumération des chiffres et des noms (de bateaux, pays, villes, compagnies maritimes, etc.). Tandis que Robert Bober filme, avec douceur et sérénité, ces lieux désormais traversés de groupes de visiteur·ses.
“Le reste, on peut seulement essayer de l’imaginer, le déduire de ce qui reste, de ce qui a été conservé, de ce qui a été préservé de la destruction et de l’oubli.”
Fabien David
Programmateur du cinéma Le Bourguet de Forcalquier