Utopies incarnées

“No contract, no pussy !” Pour introduire cette programmation, nous cherchions un slogan scandé dans les manifestations dernièrement, notamment dans les cortèges queers des manifs contre la réforme des retraites en France – où le pays a pu danser au rythme de « taxez les riches » – ou dans les collages et les pancartes des manifestations féministes qui tapissent les villes de manière éphémère : pas de féminismes sans les précaires, pas de féminismes sans nos sœurs racisées, pas de féminismes sans les putes, pas de féminismes sans les trans... Mais c’est peut être celui tiré du film Live Nude Girls Unite! (2000), qui se traduirait par « pas de contrat, pas de chatte » qui représente le mieux l’endroit d’où nous souhaitons partir pour cette escale Fier·ère·x·s. Cette requête sous forme de slogan, c’est celle de la lutte d’une poignée de travailleuses du sexe à San Francisco en 1996-1997, strip-teaseuses dans un peep-show de la ville, et qui s’assemblent en syndicat pour demander des droits ainsi qu’un cadre juridique à la direction de leur établissement. Au-delà de la demande légaliste d'être reconnues et protégées, c'est l'exposition publique (ici collective et combative) de ce qui est désigné comme tabou, sale, honteux et qui doit être tu, qui nous a servi de guide.

Les luttes partent souvent – peut-être qu’un jour la multitude des travaux d'historien·nes nous feront dire toujours ? – de groupes réduits, en situation de marginalité, écrasés par le poids de leurs oppresseurs. De ces luttes spécifiques, locales, partent aussi de grands mouvements (on pense par exemple à Monique Wittig en tant que lesbienne et pionnière du Mouvement de Libération des Femmes), dans lesquels on retrouve des individualités lumineuses et courageuses, sources de grandes inspirations. C’est avec tout cela en tête que nous avons creusé pour vous proposer des œuvres qui mettent en lumière non seulement des communautés, mais aussi les individus qui les composent : ces véritables « incarnations d’utopies » dont est tiré l’en-tête de ce texte. Car sans occulter les coups durs qu’inflige la société hétéronormative et ses injonctions patriarcales de plus en plus virulentes et « -phobes » en tout genre, nous voulions ici vous proposer des moments de joie, de puissance créatrice, d’amour, de douceur et de désirs, qui déplacent les normes et défient l’ordre établi pour prendre place. En faisant un pas de côté par rapport aux luttes sociales et politiques, nous voulions donner l’écran à des personnes qui créent ensemble – les réalisateurices avec leurs protagonistes – des espaces qui partagent d’autres images, d’autres formes, d’autres codes. Chronologiquement, le premier film de notre escale Behind Every Good Man est un court métrage de 1966 qui s’ouvre sur une série de plans, scènes d’un quotidien fantasmé d’une femme trans noire afro-descendante aux États-Unis. L’imaginaire, la création d’espaces autres – sur scène (Bixa Travesty), sur internet (Coming Out), dans la rue (Live Nude Girls Unite!), à travers son corps (Metamorfosi) ou tout en même temps – sont-ils des refuges ? des palliatifs ? des promesses ? En tout cas, il nous semble que ce sont des portes vers d’autres possibles.

Si les films de cette programmation ont une chose en commun, c’est bien l’espace qu’offrent les cinéastes aux communautés et aux personnes représentées pour se mettre en scène. De l’espace privé à l’espace public, l’art, quand il peut être saisi, donne la possibilité aux personnes invisibilisées et aux communautés dites « minoritaires » de se faire leur place et de se montrer, de se magnifier, de réclamer ce bout de terrain sur la scène du quotidien. Et si ce n’est pas sur la scène principale (car des fois, à quoi bon), de pouvoir être soi comme on se voit de l’intérieur et de se montrer ainsi aux autres. Un désir profondément humain et universel mais qui prend des accents plus ou moins pointus selon les prises de risques qu’il implique. Ce ne sont pas des entre-soi qui sont donnés à voir à travers cette sélection de films, mais bien des portraits servant à dialoguer : exposer sa propre représentation pour soi, mais aussi pour inspirer au-delà.

Vivons libres, ne vivons plus caché·e·s !

Lysa Heurtier Manzanares
Réalisatrice

Aurélien Marsais
Programmateur, producteur

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